Jérémie Jardonnet
24 septembre 2024
Pas de condition d’ancienneté pour l’accès aux activités sociales et culturelles (ASC) : quelles conséquences pour les CSE ?
Par un arrêt rendu le 3 avril 2024 (pourvoi n° 22-16.812), la chambre sociale de la Cour de cassation a interdit aux comités sociaux et économiques de conditionner l’accès des salariés d’une entreprise ou d’un établissement aux activités sociales et culturelles à une condition d’ancienneté. Quelles sont les conséquences de cette décision pour les CSE et les alternatives que ceux-ci peuvent envisager ? Les réponses de Laurent Milet, conseil scientifique du Cabinet Hujé Avocats.
Qu’est-ce qui a conduit la Cour de cassation à juger que les comités sociaux et économiques ne doivent pas soumettre à une condition d’ancienneté l’accès aux activités sociales et culturelles ?
L’application d’un principe très simple : tous les salariés, anciens salariés et membres de leurs familles visés par les textes, doivent pouvoir bénéficier des activités sociales et culturelles du comité social et économique sans discrimination, sans aucune distinction entre eux, sous réserve du respect d’un ordre de priorité légal, à savoir que les salariés de l’entreprise doivent en bénéficier prioritairement mais pas exclusivement. Le ministère du Travail avait d’ailleurs précisé à propos des cadeaux et des bons d’achat que la différence de traitement entre les salariés au regard d’un même avantage doit être fondée sur des raisons objectives et pertinentes. Des critères en lien avec l’activité professionnelle, tels que l’ancienneté ou la présence effective des salariés dans l’entreprise, ne lui apparaissaient pas remplir ces conditions (Rép. min. QE n° 43931, JOAN, 6 mai 2014, p. 3688).
Or certains comités réservent, par une clause de leur règlement intérieur, le bénéfice des ASC aux salariés justifiant d’une ancienneté minimum. Ceux-ci croyaient agir en toute légalité car depuis quelques années le guide pratique URSSAF-CSE indique de façon tout à fait générale que le bénéfice des ASC peut être réservé aux salariés ayant une ancienneté minimum, dans la limite de six mois. Une telle affirmation aurait mérité davantage de nuance puisqu’elle n’était étayée par aucun argument juridique.
Dans l’affaire qui a donné lieu à la censure de la Cour de cassation, les juges du fond avaient admis qu’un délai de carence de six mois, avant de permettre aux nouveaux embauchés dans une entreprise de bénéficier des ASC institué par le règlement intérieur du comité, était licite. Pour eux, l’ancienneté était un critère objectif, non discriminatoire, dès lors qu’il s’appliquait indistinctement à tout salarié quel qu’il soit et notamment quel que soit son âge.
Or en pratique, le délai de carence instauré par le comité avait pour effet d’exclure de fait du bénéfice des ASC les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) pendant les 6 premiers mois de leur contrat et d’exclure totalement les personnes effectuant un contrat à durée déterminée (CDD), un contrat en alternance ou un stage d’une durée inférieure ou égale à 6 mois dans l’entreprise. Il y avait dès lors bel et bien en pratique discrimination, et même discrimination indirecte à l’encontre des salariés engagés en contrats précaires, essentiellement pourvus par des femmes et/ou des jeunes, et en stage d’une durée inférieure à six mois, essentiellement pourvus par des jeunes lesquels se trouvent ainsi, à raison de leur sexe et/ou de leur âge, exclus d’un avantage bénéficiant aux autres salariés. La Cour de cassation ne pouvait que casser l’arrêt rendu par la cour d’appel et statuant sur le fond de l’affaire, la chambre sociale a annulé l’article contesté du règlement du CSE.
La solution ne vous apparaît-elle pas un peu sévère compte tenu du fait que les ressources de certains comités ne sont pas extensibles ?
Le problème c’est que la pratique de certains comités ne repose sur aucun fondement juridique. Comme le rappelle la chambre sociale, aucun texte ne permet de conditionner l’ouverture du droit de l’ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l’entreprise à bénéficier des activités sociales et culturelles à une condition d’ancienneté. Ni l’article L. 2312-78 du Code du travail qui prévoit que la gestion par le CSE des ASC « est établies dans l’entreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires » ni l’article R. 2312-35 du même Code qui donne une liste des ASC pouvant être « établies dans l’entreprise au bénéfice des salariés ou anciens salariés de l’entreprise et de leur famille. En conséquence, la seule qualité de salarié ou de stagiaire est suffisante car si l’ancienneté ne constitue pas un critère prohibé de discrimination au sens de l’article L. 1132-1 du Code du travail, sa prise en compte est de nature à provoquer une différence de traitement entre les bénéficiaires. Elle ne pourrait être admise que si elle était justifiée par des éléments objectifs et pertinents au regard de l’avantage en cause, ce qui est difficilement concevable s’agissant d’une ASC.
Quelles sont les conséquences immédiates de l’arrêt de la Cour de cassation pour les comités ayant institués une condition d’ancienneté ?
Sur le plan juridique, la conséquence immédiate de l’arrêt du 3 avril 2024 est de contraindre les CSE ayant institués une condition d’ancienneté dans l’entreprise pour l’ouverture des droits aux ASC à expurger leur règlement intérieur de la disposition litigieuse. A défaut, ils s’exposeraient à une à une demande d’indemnisation de la part de salariés qui ont été privés d’une prestation sur la base d’un critère illicite. Ce refus aura en effet provoqué une inégalité de traitement par rapport aux salariés qui remplissaient la condition d’ancienneté et qui ont eu droit à cette prestation.
Par ailleurs, après avoir tolérée que les CSE instaurent une condition d’ancienneté, l’URSSAF les invite désormais à se mettre en conformité avec l’arrêt de la Cour de cassation avant le 1er janvier 2026. Si elle constate à cette date l’existence d’une discrimination, cela privera les comités concernés (et donc par ricochet les salariés) du bénéfice des exonérations de cotisations sociales attachées à certaines prestations.
Evidemment, sur le plan de la gestion, l’arrêt de la Cour de cassation va imposer à certains comités d’inclure beaucoup plus de potentiels bénéficiaires dans leur budget.
Quelles sont les solutions alternatives offertes aux comités ?
Les comités ne sont pas totalement démunis dans leur liberté de choix pour établir certaines règles d’éligibilité aux ASC.
Quant aux bénéficiaires d’abord. Aux termes de l’article L. 2312-78 du Code du travail précité, les ASC bénéficient prioritairement (et non pas exclusivement) aux salariés de l’entreprise ou à leur famille. Et l’article L. 612-12 du Code de l’éducation prévoit aujourd’hui que les stagiaires accèdent aux activités sociales et culturelles dans les mêmes conditions que les salariés. En revanche, ne bénéficient pas de cet ordre de priorité légal, les anciens salariés de l’entreprise et leur famille en vertu de l’article R. 2312-35. Un comité est donc libre d’accorder ou pas le bénéfice des ASC aux retraités et préretraités. Tous les anciens salariés, même s’ils ne sont pas retraités, ont également vocation à bénéficier des ASC, quelle qu’ait été la durée des services accomplis dans l’entreprise. Mais encore une fois, le comité doit d’abord respecter l’ordre de priorité légal (les salariés et leur famille). Qui plus est, si les ressources du comité ne permettent pas de rendre éligibles à toutes les ASC les anciens salariés de l’entreprise il peut décider de mettre en place des ASC spécifiques en direction des intéressés. Par exemple, il peut décider, comme le font de nombreux comités par choix ou par manque de ressources, de ne pas faire bénéficier les retraités des ASC réservées aux salariés, mais d’adresser un cadeau (colis gastronomique par exemple) à chacun d’entre-eux pour les fêtes de fin d’années. Il n’y a là aucune entorse au principe d’égalité de traitement puisque les anciens salariés ne sont pas placés dans une situation identique que les salariés dans l’attribution de l’avantage.
Quant à la modulation des prestations ensuite. Le fait que les textes inscrivent les membres des familles et les anciens salariés, retraités ou non, parmi les bénéficiaires possibles des prestations sociales et culturelles des CSE, ne signifie pas que les comités sont tenus de créer des services pour ces personnes ou d’accorder à ces personnes les mêmes services qu’aux salariés actifs eux-mêmes. Cela signifie seulement que l’ouverture de droits à ces personnes est licite, comme entrant dans le cadre de l’objet des comités sociaux et économiques.
Mais il est évident que, les ressources des comités étant assises sur les salaires des actifs, de nombreux CSE ne disposent pas toujours des moyens, malgré leur désir, d’accorder des prestations à un grand nombre de personnes non membres du personnel.
Un comité peut donc, en fonction de ses ressources, ou même en fonction de son orientation sociale et culturelle, réserver ses prestations aux seuls salariés actifs comme évoqué ci-avant, ou fixer des conditions ou des seuils (liens de parenté ; barème de ressources ; quotient familial ; etc.) pour en faire bénéficier les anciens salariés et/ou les membres des familles des membres du personnel. Certains comités adoptent par exemple un mode de calcul particulier qui évite de pénaliser les célibataires.
Dès lors qu’un salarié ou ancien salarié remplit les conditions fixées par le comité, il peut bénéficier des prestations offertes par celui-ci. Mais comme pour les nouveaux embauchés, l’ancienneté ne serait être un critère pertinent d’éligibilité.
Pareillement, la solution retenue par l’arrêt du 3 avril 2024 interdit selon nous aux CSE de moduler le niveau des ASC en accordant des prestations plus modestes aux nouveaux embauchés ou stagiaires pendant un certain temps et des ASC plus avantageuses aux salariés plus anciens, ce qui aboutirait pour le comité à instituer une prise en charge financière croissant avec l’ancienneté.
L’inégalité de traitement entre les salariés dans l’attribution d’un avantage au regard duquel ils apparaissent placés dans une situation identique serait caractérisée. Elle ne reposerait pas sur un critère objectif et pertinent mais sur la seule durée d’appartenance à l’entreprise.
Laurent Milet
Professeur associé Université Paris-Saclay
Conseil scientifique Hujé Avocats
CSE • budget • ASC • activités sociales et culturelles • condition d’ancienneté • modulation