Jérémie Jardonnet
17 janvier 2024
Animaux sur le lieu de travail : pistes de réflexion auxquelles associer le CSE
Les entreprises et collectivités qui autorisent la présence des animaux sur le lieu de travail sont de plus en plus nombreuses. Selon une étude française de Wamiz (« site des animaux de compagnie »), 8 employés sur 10 déclarent que les animaux ont un impact positif sur leur travail. 60 % se sentent moins stressés, 39 % estiment que la communication dans l’équipe est améliorée et 17 % se trouvent plus productifs et efficaces. Si les bienfaits des animaux au travail semblent avérés, leur présence peut également être source de questionnements. Voici quelques pistes de réflexions, dans un domaine où tout est à construire, et auxquelles les représentants du personnel doivent être associés.
Depuis la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, l’animal est qualifié, non plus de « meuble par nature » (C. civ., anc. art. 528), ni même de chose, mais d’« être vivant doué de sensibilité » (C. civ., art. 515-14 ). Bien que l’animal reste soumis au régime juridique des « biens », cette modification a été plus que symbolique, car elle a officialisé, dans le Code civil, une obligation d’une conduite éthique, respectueuse de l’animal et de sa sensibilité.
– Une situation de fait existante et une demande en développement
Selon une enquête menée fin 2021 par CSA pour la Centrale Canine, près de 4 Français sur 10 (39 %) aimeraient que les chiens soient davantage acceptés sur leur lieu de travail.
À ce jour, 7 % des employeurs l’autorisent, et cette proportion monte à 19 % lorsqu’il s’agit de chiens de petits gabarits (moins de 10 kg).
Les bureaux accueillant les animaux de compagnie des salariés sont de plus en plus fréquents en France. On peut citer, à titre d’exemples, Joone, Google France, Nespresso, la ville de Suresnes, etc.
Cette tendance ne se limite pas à l’Hexagone. Le « Take your Dog to Work Day » est très populaire aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Cette journée qui a lieu un vendredi par an consiste à autoriser les employés à amener leur chien au travail.
– Quelle place réservée aux animaux dans l’entreprise par le législateur ?
• Le cas particulier des chiens guides d’aveugles et des chiens d’assistance
Le législateur a fixé les conditions d’accès aux espaces publics des chiens guides d’aveugles et chiens d’assistance. Au-delà des lieux ouverts au public, ce droit d’accès s’étend aux « locaux permettant une activité professionnelle, formatrice ou éducative », c’est-à-dire notamment tous les lieux de travail ou de formation, à l’exclusion des ateliers et laboratoires de préparation des aliments. Le droit d’accès des personnes en situation de handicap avec leur chien guide ou d’assistance a été consacré par la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 portant diverses mesures d’ordre social (art. 88), modifiée par l’article 54 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, puis, en dernier lieu, par l’article 10 de l’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014, ratifiée par la loi n°2015-988 du 5 août 2015.
• Le cas général des animaux de compagnie sur le lieu de travail
Les animaux domestiques, à l’exception des chiens-guides d’aveugles, ne peuvent être introduits dans les établissements de santé publique (C. santé pub., art. R. 1112-48).
Hormis cette interdiction, qui existe également dans d’autres secteurs spécifiques, la présence des animaux sur le lieu de travail n’est pas abordée par le Code du travail, qui ne l’interdit donc pas frontalement.
La réponse semble être à rechercher au sein du règlement intérieur, document comprenant les règles générales et permanentes relatives à la discipline et les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise (C. trav., art. L. 1321-1). Il convient de s’y référer, puisqu’il peut contenir une clause à ce sujet.
L’absence de clause spécifique en la matière ne peut signifier, selon nous, une autorisation implicite de l’employeur. Notons, toutefois, que la cour d’appel de Lyon a récemment jugé que le fait, pour une assistante administrative, de venir au travail avec son chien, malgré l’interdiction édictée pouvait justifier une sanction mais non un licenciement (CA Lyon, 26 janv. 2023, nº 20/02253). La cour d’appel de Nancy considère également que le fait d’avoir laissé son chien dans le magasin en violation des règles de sécurité et d’hygiène ainsi que du règlement intérieur ne revêtait pas une gravité suffisante pour justifier la rupture du contrat de travail (CA Nancy, 27 nov. 2009, nº 09/00006 ).
– Quels rôles pour les représentants du personnel ?
• Le cadre d’intervention
Si l’employeur décide d’envisager la possibilité d’introduire les animaux sur le lieu de travail, les représentants du personnel devront être associés.
Dans la mesure où la question intéresse notamment l’organisation, la marche générale de l’entreprise, les conditions d’emploi et de travail, le comité social et économique (CSE) doit être informé et consulté (C. trav., art. L. 2312-8).
Si on considère que la présence autorisée des animaux dans l’entreprise constitue un aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, alors le CSE pourra avoir recours à l’assistance d’un expert-habilité, lequel pourra éclairer le CSE sur l’opportunité du projet, ses avantages et ses axes d’amélioration (C. trav., art. L. 2312-8 et C. trav., art. L. 2315-94).
Rappelons également qu’en application :
– de l’article L. 2312-9 du Code du travail, dans le champ de la santé, de la sécurité et des conditions de travail, le CSE :
> procède à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs, ce qui lui permet de travailler avec l’employeur sur les risques éventuellement générés par l’introduction des animaux en entreprise. Son travail ne sera donc pas limité à la remise d’un avis sur l’éventuel projet patronal ;
> peut susciter toute initiative qu’il estime utile. Il peut donc tout à fait se saisir de la question et la porter à l’ordre du jour d’une réunion afin d’envisager la possibilité d’autoriser la présence des animaux domestiques sur le lieu de travail ;
– de l’article L. 2312-12 du Code du travail, le CSE formule, à son initiative, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail et d’emploi.
S’il existe une commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT) au sein de l’entreprise, celle-ci sera légitime pour étudier la question animalière en entreprise.
La modification éventuelle du règlement intérieur impliquera, elle aussi, une information consultation du CSE à ce titre (C. trav., art. L. 1321-4).
Remarque :
En ce qui concerne les délégués syndicaux, il n’est pas exclu qu’ils aient également un rôle à jouer. En effet, dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, et dans lesquelles a été désigné au moins un délégué syndical, l’employeur doit prendre l’initiative d’engager, périodiquement, des négociations portant sur certains thèmes dont, notamment, la qualité de vie et des conditions de travail (C. trav., art. L. 2242-1). Ce sujet pourrait tout à fait avoir sa place au sein de cette négociation.
• Pistes de réflexions des élus
Les représentants du personnel devront participer à la construction des modalités pratiques de la venue des animaux de compagnie.
Certaines entreprises ont recours à des chartes de bonnes pratiques. Quel que soit le support, il conviendra, évidemment, de définir un certain nombre de critères et de comportements à observer pour permettre une cohabitation sereine et sécurisée.
Il sera nécessaire de s’interroger sur les risques qui peuvent être induits par l’insertion des animaux dans le milieu professionnel, risques qui devront être évalués, analysés et prévenus.
Sans souci d’exhaustivité, nous pouvons citer les risques suivants : stress, angoisses, morsures, chute d’un salarié, dégradations des locaux, allergies, hygiène, nuisances sonores, odeurs, désordre, etc. Le CSE, en application de l’article L. 4121-3 1° du Code du travail, sera consulté sur le document unique d’évaluation des risques professionnels et sur ses mises à jour, intégrant ces nouveaux risques.
Certaines dispositions devront être prises par le propriétaire de l’animal et l’entreprise. Parmi les plus évidentes, nous pouvons citer :
– vérifier la position des salariés sur le projet ;
– s’assurer de la propreté de l’animal ;
– veiller aux vaccinations à jour des animaux ;
– adapter l’environnement de travail (aménager l’espace de travail de sorte que l’animal puisse se sentir à l’aise, mais aussi pour certains collègues qui pourraient être réticents, définir les lieux de travail où seraient autorisés la présence des animaux, etc.) ;
– s’assurer du caractère sociable de l’animal de compagnie. Si certains animaux comme les chiens, les chats et les perroquets peuvent être apprivoisés plus facilement, il n’en est pas nécessairement de même pour les reptiles. Ainsi, la présence d’un animal ne doit ni mettre en péril la productivité, ni dégrader l’ambiance de travail ;
– disposer d’une assurance contre les éventuels dégâts provoqués par l’animal ;
– si l’entreprise est titulaire d’un bail, consulter le propriétaire ;
– etc.
De même, il sera nécessaire de réfléchir aux animaux autorisés (chats, chiens, serpents, mygales, oiseaux, rongeurs, tortues, etc.), aux gabarits (yorkshire, saint-bernard, boa, etc.), aux périodes autorisées (un ou plusieurs jours par semaine/mois/an, alternance, etc.).
La question du temps de promenade, pour un chien par exemple, devra être mise sur la table : est-ce que les propriétaires salariés devront nécessairement attendre leur temps de pause, pour sortir leur animal de compagnie, ou pourront-ils s’absenter en dehors de ces périodes ? Quel sera le régime juridique de ces temps intercalaires le cas échéant ?
Il sera, enfin, intéressant d’associer les services de prévention et de santé au travail, et notamment le médecin du travail, qui saura sans doute émettre des préconisations utiles (par exemples : aération pour les allergies, espaces d’accueil dédié pour permettre aux salariés nourrissant des peurs d’être rassurés, etc.).
– Quels avantages pour les salariés et l’entreprise ?
Il ne peut être nié que l’introduction des animaux au sein de l’entreprise constitue un nouveau facteur de risques. Si le salarié peut être tenu responsable des dégâts causés par son animal, un accident survenu sur le lieu de travail en raison d’un animal d’un collègue sera certainement qualifié d’accident du travail. Il n’est pas inutile de rappeler que l’employeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (C. trav., art. L. 4121-1). Des freins existent, mais ceux-ci peuvent être assurément dépassés si le projet est pensé en amont.
La lecture de certaines études et enquêtes semble indiquer que la présence d’animaux au sein de l’entreprise aurait certaines vertus. Là encore, sans souci d’exhaustivité, nous pouvons citer certains de ces avantages recensés :
– atteindre un meilleur équilibre entre vie professionnelle / personnelle (amener son animal sur le lieu de travail permet de s’y sentir « comme à la maison ») ;
– diminuer le stress des salariés ;
– favoriser l’exercice physique en promenant les animaux, diminuant ainsi les risques professionnels liés à la sédentarité ;
– améliorer la productivité des salariés, puisqu’ils se sentent bien au travail ;
– favoriser les interactions entre salariés ;
– faciliter l’intégration de nouveaux salariés ;
– jouer positivement sur l’image d’entreprise ;
– attirer de nouveaux profils ;
– fidéliser les employés ;
– etc.
(Article rédigé par Maître Jérémie Jardonnet, cabinet Hujé Avocats, publié dans la revue juridique Les Cahiers Lamy du CSE – octobre 2023)