Jérémie Jardonnet
17 janvier 2024

BDESE : absence d’obligation de négociations préalables pour sa mise en place

Jurisprudence commentée : Cass. soc., 4 oct. 2023, n° 21-25.748

(Article publié dans la revue Les Cahiers Lamy du CSE de décembre 2023).

La base de données économiques sociales et environnementales (BDESE) contient de nombreuses informations que l’employeur doit mettre à disposition des représentants du personnel. Si aucun accord n’a instauré cette BDESE, l’organisation, l’architecture, le contenu et les modalités de fonctionnement de la BDESE sont fixées par des dispositions dites « supplétives » c’est-à-dire des dispositions légales. La Cour de cassation vient de se prononcer sur la possibilité de mettre en place la BDESE sans négociations préalables avec les partenaires sociaux.

– La mise en place de la BDESE : une négociation facultative

La loi relative à la sécurisation de l’emploi, entrée en vigueur le 14 juin 2013 (L. n°2013-504), a rendu la mise en place obligatoire de cette base pour les entreprises de plus de 300 salariés. Deux ans plus tard, l’obligation s’est élargie aux entreprises entre 50 et 300 salariés. A ses débuts, on parlait de base de données unique (BDU). Au fil des réformes successives, le terme a été modifié, pour devenir base de données économiques et sociales (BDES). La Loi dite « Rebsamen » du 17 août 2015 a fait de la base le support de principe de toutes les informations et consultations récurrentes des représentants du personnel. Avec la « loi Climat et Résilience » (L. n° 2021-1104 du 22 août 2021, JO 24 août), la BDES s’enrichie d’un « E », pour devenir base de données économiques sociales et environnementales (BDESE).

Remarque :
Nous constatons, trop souvent, que de nombreux CSE n’ont pas accès à une BDESE ou, lorsqu’elle est en place, que cette dernière se révèle incomplète. Au-delà du fait que cette absence ou incomplétude pourrait constituer le délit d’entrave au fonctionnement régulier de l’instance, rappelons que le délai d’information consultation du CSE ne peut courir tant que cette base n’est pas mise en place, ou lorsque l’employeur n’a pas mis à disposition du comité certains documents dont la loi ou l’accord collectif prévoit pourtant la communication, et notamment ceux relevant de la base de données économiques, sociales et environnementales pour les consultations récurrentes (Cass., soc., 28 mars 2018, n°17-13.081).

L’article L. 2312-18 du Code du travail précise que la BDESE rassemble l’ensemble des informations nécessaires aux consultations et informations récurrentes que l’employeur met à disposition du comité social et économique (CSE).

L’article L. 2312-21 du même code dispose qu’un accord d’entreprise ou, en l’absence de délégués syndicaux, un accord entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité, définit l’organisation, l’architecture et le contenu de la BDESE ainsi que les modalités de son fonctionnement.

L’article L. 2312-36 dudit code indique, qu’en l’absence d’accord prévu à l’article précité, une BDESE, mise régulièrement à jour, rassemble un ensemble d’informations que l’employeur met à disposition du comité social et économique. Cet article fixe, à défaut d’accord, les informations contenues dans cette BDESE, portant sur différentes thématiques, telles que les investissements, l’égalité professionnelle, les activités sociales et culturelles, la sous-traitance, etc.

La lecture combinée des articles précédents est donc relativement arithmétique :
> le Code du travail pose un principe selon lequel la BDESE et son contenu sont prévus par accord,
> et des dispositions supplétives fixent son contenu en l’absence d’accord.

– La supplétivité des règles prévues par le Code du travail implique-t-elle une subsidiarité, et donc une obligation de négociations préalables de l’employeur avec les partenaires sociaux ?

Telle est la question à laquelle, dans l’affaire commentée, la Haute juridiction a apporté une réponse.

En substance, des élus du CSE et une organisation syndicale avaient sollicité la suspension de la mise en place de la BDES en l’absence d’une négociation préalable, ainsi que l’ouverture d’une telle négociation avec les organisations syndicales. Les juges du fond n’avaient pas fait droit à leurs demandes.

Ils ont, dès lors, exercé un pourvoi, et soutenu que dans la mesure où il résulte de l’article L. 2312-21 du code du travail qu’un accord d’entreprise définit l’organisation, l’architecture et le contenu de la base de données, la conclusion d’un tel accord s’impose et que l’employeur manque donc à ses obligations en n’engageant pas de négociations en vue de la conclusion d’un tel accord.

Il ne peut être nié, en effet, que la formulation même de l’article L. 2312-21 du Code du travail, « un accord d’entreprise […] définit […] », au présent de l’indicatif, exprime un impératif, impliquant que l’employeur doit mettre en œuvre des négociations préalables en vue de parvenir à un accord en la matière.

Cependant, les juges du quai de l’Horloge estiment « [qu’il] ressort de ces textes que, le contenu de la base de données économiques et sociales étant, en l’absence d’accord, déterminé par les dispositions légales et réglementaires précitées, la négociation préalable d’un accord prévu l’article L. 2312-21 du code du travail ne présente pas de caractère obligatoire ». La Cour de cassation approuve ainsi la cour d’appel de Versailles d’avoir retenu que l’employeur n’avait pas commis de manquement en n’engageant pas de négociations avec les organisations syndicales en vue de la conclusion d’un accord collectif sur l’organisation, l’architecture, le contenu et les modalités de fonctionnement de la base de données économiques et sociales, de sorte qu’il n’y avait lieu à référé sur la demande de suspension de la mise en place de cette base de données.

En d’autres termes, la négociation d’un accord préalable prévu à l’article L. 2312-21 du Code du travail ne présente pas de caractère obligatoire. L’employeur est, en conséquence, en droit d’appliquer directement les dispositions supplétives prévues à l’article L. 2312-36 du code précité.

Une solution à contre-courant de la conventionnalisation du droit du travail

La conventionnalisation constitue l’expression d’un choix politique important en droit du travail, et ce depuis de nombreuses années. L’espace de négociation permis à la branche et à l’entreprise s’élargit. Il en résulte, d’ailleurs, une modification de l’ordonnancement et l’architecture normatifs : dispositions d’ordre public/champ de la négociation collective/dispositions supplétives.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter, par exemple, à l’étude d’impact du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, selon laquelle : « La philosophie qui guide les dispositions de l’ordonnance prévues au titre du présent article du projet de loi d’habilitation est de mettre un point d’arrêt à la tentation inflationniste de réguler la relation de travail à un niveau trop éloigné des besoins des salariés et des entreprises, en confiant aux acteurs de l’entreprise, au plus près du terrain, la responsabilité de déterminer eux-mêmes, par voie d’accord d’entreprise, les règles régissant cette relation. Cet article du projet de loi d’habilitation prévoit en particulier d’autoriser le Gouvernement à introduire par voie d’ordonnance les modifications du code du travail indispensables pour consacrer la place centrale voire prioritaire de l’accord d’entreprise dans le paysage normatif du droit social français, dans un cadre régulé par la loi et, dans certains domaines, par la branche » (Étude d’impact, 27 juin 2017, p.5).

La décision commentée apparaît donc, dans une certaine mesure, affaiblir la négociation en entreprise, puisqu’elle y apparaît, en l’espèce, totalement facultative.

Concernant l’élection du CSE, la Haute juridiction n’avait d’ailleurs pas la même approche. En effet, pour rappel, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont fixés par accord (C. trav., art. L. 2313-2 et L. 2313-3), et il a été jugé que l’ouverture de négociations loyales sur ce sujet est obligatoire (Cass. soc., 17 avr. 2019, n°18-22.948). Toutefois, à la différence de la BDESE, il n’existe pas en la matière de dispositions supplétives. En effet, en l’absence d’accord, l’employeur détermine unilatéralement les établissements distincts compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel (C. trav., art. L. 2313-4).

Une autre décision, interprétant l’article R. 2314-5 du Code du travail, à propos de la mise en place du vote électronique, expliquait que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électronique (Cass. soc., 13 janv. 2021, n° 19-23.533).

La ligne de départage pour connaître les sujets sur lesquels la négociation préalable serait obligatoire ou facultative serait donc, possiblement, la suivante :
> dans les domaines où il existerait des dispositions supplétives, où finalement un socle de droits légaux serait prévu, la négociation préalable serait facultative,
> à l’inverse, lorsqu’il n’existerait pas de dispositions supplétives, et que l’employeur pourrait agir par décision unilatérale, alors le préalable de négociation s’imposerait.

On peut tout de même s’accorder sur le fait que les expressions « à défaut d’accord » ou « en l’absence d’accord » sont nombreuses dans le code du travail, demeurent ambigües, puisqu’elles impliquent, par leur existence même, que la voie de la négociation devrait être recherchée avant que l’employeur n’agisse arbitrairement.

La négociation en matière de BDESE présente un intérêt, afin notamment de l’adapter aux spécificités de l’entreprise, tenant, par exemple, à l’environnement et au secteur dans lequel elle évolue.

Il est possible de se demander si la solution aurait été identique, si préalablement à la mise en place de la BDESE, les organisations syndicales avaient sollicité l’engagement de négociations en vue de définir l’organisation, l’architecture et le contenu de la BDESE ainsi que les modalités de son fonctionnement. Dans une telle hypothèse, on peut, en effet, supposer que l’employeur aurait été contraint d’engager des négociations loyales avant de mettre unilatéralement en place la BDESE selon les dispositions supplétives prévues par le code du travail.