Jérémie Jardonnet
6 avril 2020

La sanction de l’utilisation par l’employeur de moyens de preuves illicites

Le Conseil d’Etat a rendu une décision intéressante le 2 mars 2020 (n°418640), relative à la preuve des manquements commis par le salarié.

Les faits sont relativement simples.

Une banque a sollicité l’autorisation de licencier un salarié, détenteur de nombreux mandats de représentant du personnel (délégué syndical, délégué titulaire du personnel, membre suppléant du comité d’entreprise fédéral et de membre du comité fédéral d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Cette demande était fondée sur deux motifs : le premier disciplinaire en raison de la consultation des comptes bancaires d’un client de la banque sans nécessité professionnelle et du comportement du salarié à l’égard de ce client, et un second tiré du trouble objectif que le détournement de fonds, réalisé par le salarié au détriment d’une organisation syndicale, avait provoqué dans le fonctionnement de l’entreprise.

Le ministre du travail avait estimé que le détournement de fonds reproché au salarié constituait un trouble manifeste dans le fonctionnement de l’entreprise justifiant le licenciement du salarié (l’autre grief ayant manifestement été écarté). Le tribunal administratif de Strasbourg avait finalement annulé la décision du ministre du travail, et la cour d’appel administrative de Nancy avait confirmé ce jugement.

Il ressort des faits que le salarié avait effectué le détournement de fond en dehors de l’exécution de son contrat de travail. Or, on sait que si les agissements du salarié étrangers à la vie professionnelle ne peuvent justifier un licenciement disciplinaire, la jurisprudence admet qu’ils puissent néanmoins justifier un licenciement si un trouble caractérisé en est résulté, tenant notamment à la finalité de l’activité et aux fonctions du salarié et ayant eu des répercussions sur la bonne marche de l’entreprise (Conseil d’Etat, 4ème et 5ème sous-sections réunies, du 4 juill. 2005, 272193, publié au recueil Lebon ; Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 15 déc. 2010, 316856, Publié au recueil Lebon).

La difficulté en l’espèce tenait à la manière dont l’employeur avait obtenu la preuve des faits reprochés au salarié.

La difficulté en l’espèce tenait à la manière dont l’employeur avait obtenu la preuve des faits reprochés au salarié.

En effet, il ressort qu’une enquête interne avait été menée par la banque, sans que le salarié en soit informé, permettant ainsi de révéler que l’intéressé avait usé de ses prérogatives de trésorier d’un syndicat pour commettre un détournement de fonds au détriment dudit syndicat. Les investigations de l’employeur avaient notamment porté sur les comptes bancaires personnels du salarié dont il était titulaire au sein de la banque.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat fixe, en premier lieu, une ligne de conduite à tenir en indiquant que « Lorsqu’un employeur diligente une enquête interne visant un salarié à propos de faits, venus à sa connaissance, mettant en cause ce salarié, les investigations menées dans ce cadre doivent être justifiées et proportionnées par rapport aux faits qui sont à l’origine de l’enquête et ne sauraient porter d’atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie privée. »

Appliquant ce principe ensuite, le Conseil d’Etat constate que la consultation des comptes bancaires du salarié n’était pas nécessaire pour établir la matérialité des allégations qui avaient été portées à sa connaissance par un tiers. En effet, initialement, un client de la banque se plaignait auprès d’elle de menaces proférées à son encontre et de la consultation de ses comptes. Cette plainte ne pouvait justifier que l’employeur consulte le compte bancaire du salarié sans l’en informer préalablement. Cette consultation n’était évidemment pas nécessaire pour démontrer que le salarié avait menacé le client plaignant et consulté ses compte.

Au visa de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Conseil d’Etat juge que la banque a porté une atteinte excessive au respect de la vie privée du salarié, dans des conditions insusceptibles d’être justifiées par les intérêts qu’elle poursuivait. Le Conseil d’Etat rejette ainsi le pourvoi de la banque et valide l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy.

Cette solution se compare aisément avec la jurisprudence administrative qui sanctionne, de façon générale, l’utilisation par l’employeur de moyens de preuve illicites (Par ex., CAA Bordeaux, 9 mai 2017 n° 15BX02686 ; CAA Lyon, 12 déc. 2013, n° 13LY00028). L’exigence de loyauté est également la ligne suivie par la jurisprudence de la Cour de cassation (Par ex., Cass. soc., 26 nov. 2002, n°00-42.401, n° 3388 FS – P + B + R + I ; Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093, n° 555 FS – P + B ; Voir également Cass. soc., 20 novembre 1991, nº 88-43.120, Bull. civ. V ; Cass. civ. 1ère, 25 février 2016, n°15-12403).

Contrairement à l’adage, la fin ne justifie pas les moyens…