Hugues Ciray
26 Février 2020

Régime social des indemnités transactionnelles – la Cour de cassation maintient le cap

En 2018, par plusieurs décisions, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation avait décidé de sonner le glas à l’interprétation du régime social des indemnités transactionnelles versées lors de la rupture du contrat de travail adoptée par l’administration de la sécurité sociale.

Pour mémoire, par une lecture combinée des article L.242-1 du code de la sécurité sociale (CSS) et 80 duodecies du code général des impôts (CGI), pour déterminer la part de l’indemnité transactionnelle soumise à cotisations sociales, il convenait d’additionner, selon l’administration, l’indemnité de licenciement avec l’indemnité transactionnelle puis de déterminer la part du montant cumulé de ces indemnités qui était exonérée d’impôt sur le revenu. Cette part était alors également exonérée de cotisations sociales à concurrence de deux PASS.

L’avantage de cette méthode tenait en sa simplicité et en son caractère sécurisé : il suffisait d’opérer une opération mathématique.

En 2018, profitant de plusieurs pourvois qui lui ont été soumis, la Cour de cassation a posé le désormais célèbre attendu de principe qui suit : « en vertu de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale [dans sa rédaction applicable au litige], les sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail autres que les indemnités mentionnées au dixième alinéa, dans sa rédaction applicable à la date d’exigibilité des cotisations litigieuses, sont comprises dans l’assiette de cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, à moins que l’employeur ne rapporte la preuve qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice« .

Partant, toute indemnité transactionnelle versée lors de la rupture du contrat de travail est, par principe, soumise à cotisations sociales, à l’exception des seules indemnités limitativement énumérées à l’article 80 duodecies du CGI.

La formule peut paraître simple de prime abord : si l’employeur démontre que l’indemnité répare un préjudice, elle sera totalement exonérée de cotisations. Dans le cas contraire, l’indemnité sera intégralement soumise à cotisations.

Mais la simplicité de la formule cache la complexité de la charge de la preuve du préjudice réparé. Il suffit d’analyser les décisions rendues en 2019 et en 2020 par la Cour de cassation pour s’en convaincre.

Le premier exemple typique concerne le licenciement pour faute grave.

Les URSSAF considèrent qu’en cas de licenciement pour faute grave, privatif de l’indemnité de préavis, suivi d’une transaction entre les parties pour mettre un terme au litige né de la contestation de ce licenciement, l’indemnité transactionnelle comprendrait nécessairement pour partie le versement de l’indemnité compensatrice de préavis soumise à cotisations sociales, peu important la confirmation donnée par l’employeur de sa volonté de maintenir dans la transaction la qualification de faute grave. La partie de l’indemnité transactionnelle correspondant à l’indemnité compensatrice de préavis devrait alors être soumise à cotisations.

Cependant, la transaction ne vaut pas renonciation par l’employeur au bien-fondé du licenciement pour faute grave notifié au salarié. En effet, une transaction a pour objet un différend entre les parties qu’elle se propose de régler par des concessions réciproques, sans reconnaissance de part et d’autre du bien-fondé de la position adverse. Dès lors, la position des URSSAF qui consiste à soutenir qu’en cas de transaction le licenciement pour faute grave perd sa qualification et ses effets juridiques est pour le moins contestable.

Contestée, cette position est tantôt rejetée par les juges du fond, tantôt favorablement accueillie.

C’est ainsi que dans un arrêt du 23 janvier 2020 (n° 19-12.225), la Cour de cassation, se cachant désormais derrière le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond de la preuve du préjudice réparé, a rejeté le pourvoi formé par un employeur à l’encontre d’un arrêt d’appel qui avait validé la décision d’une URSSAF d’inclure dans l’assiette des cotisations la part de l’indemnité transactionnelle correspondant au montant de l’indemnité compensatrice de préavis.

Mais, à l’extrême opposé, toujours au nom du pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation a rejeté, dans un arrêt du 28 novembre 2019 (n° 18-23.285), le pourvoi formé cette fois par une URSSAF qui reprochait aux juges du fond d’avoir jugé que l’indemnité transactionnelle versée à la suite d’un licenciement pour faute grave réparait le préjudice subi par le salarié et qu’il n’y avait pas lieu d’inclure la part de l’indemnité correspondant à l’indemnité compensatrice de préavis dans l’assiette des cotisations sociales.

Assurément, ces décisions contradictoires n’aident pas le praticien dans le conseil à donner à ses clients, sauf à privilégier un principe de précaution (qui est loin d’être satisfaisant et qui peut être contesté par le salarié qui se voit imputer des charges sociales sur le montant de son indemnité).

La problématique ne s’arrête nullement au licenciement pour faute grave.

Dans un arrêt du 9 mai 2019 (n° 18-15.761), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par une société à l’encontre d’un arrêt d’appel qui a validé la décision d’une URSSAF d’inclure dans l’assiette des cotisations la totalité de l’indemnité transactionnelle versée à un salarié à la suite de son licenciement pour insuffisance professionnelle. La Cour d’appel a justifié sa décision selon la motivation qui suit : « Bien que qualifiée de dommages et intérêts, la transaction précise que cette indemnité a pour contrepartie la renonciation par le salarié de saisir la juridiction prud’homale de tout litige susceptible de naître de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail, que le salarié a été licencié pour insuffisance professionnelle, alors qu’il occupait ce poste depuis plus de six ans, qu’il ne conteste pas la réalité des faits qui lui sont reprochés, mais qu’il estime que compte tenu de son ancienneté au service de l’enseigne, la sanction prise à son encontre lui cause un préjudice qu’il convient de réparer. L’indemnité ainsi versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail, était donc bien destinée à régler les conséquences financières du licenciement ainsi que l’ont retenu avec pertinence les premiers juges et ne présentait pas un caractère indemnitaire, l’employeur ne soumettant du reste à l’appréciation de la cour aucun élément qui aurait été pris en considération pour chiffrer le préjudice que cette somme serait censée compenser ».

Ainsi, les juges du fond ont jugé que les mentions figurant dans la transaction n’étaient pas suffisantes pour justifier du caractère indemnitaire de la somme versée.

Pourtant, par nature, une transaction conclue après rupture du contrat de travail a pour objet de régler les conséquences financières d’un licenciement contesté par le salarié ! En justice, les conséquences financières sont réglées par des dommages-intérêts exonérés de cotisations. Il est donc totalement aberrant que les dommages-intérêts versés dans le cadre d’une transaction, qui a autorité de la chose jugée entre les parties, n’obéisse pas aussi facilement au même régime d’exonération que l’indemnité judiciaire.

Pourtant, rappelons que le Conseil constitutionnel a posé le principe de l’égalité de traitement devant l’impôt et l’interdiction des différences de régime selon que l’indemnité est versée en exécution d’une décision judiciaire ou en exécution d’une transaction (CC, 20 septembre 2013, QPC 2013-340).

Enfin, la jurisprudence nouvelle n’est nullement cantonnée aux indemnités transactionnelles versées lors de la rupture du contrat de travail. Les attendus de principe de la Cour de cassation sont généraux et visent également les indemnités transactionnelles versées pour terminer un litige né pendant l’exécution du contrat de travail.

Dans ce cadre, l’objet du litige est déterminant du régime social qui devra être appliqué comme l’illustre parfaitement cette dernière décision du 28 novembre 2019 (n° 18-22.807), qui a eu les honneurs d’une publication au bulletin de la Cour de cassation :

En l’espèce, des salariés et leurs syndicats avaient introduit plusieurs actions judiciaires en vue d’obtenir des rappels de salaires sur des jours fériés, ainsi que le paiement du 1er mai 2008 ayant coïncidé avec le jour de l’Ascension et le paiement d’heures de récupération de leur dotation vestimentaire. L’employeur considérait pour sa part que ces rappels de salaire n’étaient pas fondés. Dans l’unique volonté d’un apaisement du climat social à la suite des élections professionnelles, l’employeur a néanmoins accepté de verser aux salariés une indemnité transactionnelle en réparation du préjudice qu’ils estimaient avoir subi du fait du refus de la société d’accorder des jours de repos complémentaires ou de compenser les heures de dotation vestimentaire. En contrepartie de ces versements transactionnels, pour lesquels il est expressément stipulé qu’ils ne constituaient pas la reconnaissance par la société du bien-fondé des demandes des salariés, les salariés qui ont obtenu des rappels de salaires par jugements prud’homaux ont accepté de les restituer à la société qui les considéreraient comme indus. Enfin, l’employeur a systématiquement versé des indemnités d’un montant inférieur aux montants réclamés par les salariés.

L’URSSAF, avec l’aval des juges du fond, a réintroduit les sommes transactionnelles dans l’assiette des cotisations, au seul motif que la demande des salariés portait sur le paiement d’éléments de salaire, peu important le remboursement des sommes perçues par les salariés au titre des condamnations judiciaires.

Les salariés qui ont obtenu des rappels de salaires par jugements prud’homaux ont accepté de les restituer à la société qui les considéreraient comme indus. Enfin, l’employeur a systématiquement versé des indemnités d’un montant inférieur aux montants réclamés par les salariés.

La Cour de cassation, opérant cette fois un contrôle de la motivation des juges du fond, a jugé qu’ils avaient « exactement » déduit des faits litigieux que l’objet des litiges portait sur des rappels de salaire, et qu’à ce titre les indemnités transactionnelles constituaient le versement d’une rémunération complémentaire.

C’est dire la difficulté d’obtenir désormais l’exonération des indemnités transactionnelles de charges sociales en cas de contrôle URSSAF.

C’est également dire l’importance des mentions qu’il convient de faire figurer dans les protocoles transactionnels. Faire preuve d’ingéniosité rédactionnelle n’est plus une option mais une obligation.