Jérémie Jardonnet
6 avril 2020
L’inobservation des critères d’ordre des licenciements n’entraîne pas un préjudice nécessaire
La Cour de cassation dans un arrêt du 26 février 2020, (pourvois n° 17-18136 17-18137 17-18139) vient de rendre une nouvelle décision s’agissant de la théorie du « préjudice nécessaire ».
Pour rappel, la Cour de cassation a longtemps estimé que certains manquements de l’employeur « cause[nt] nécessairement un préjudice devant être réparé[s] » (Par ex., pour la remise tardive au salarié de l’attestation destinée à Pôle emploi : Cass. soc., 21 janv. 2015, n° 13-25.675 ; pour la privation du repos hebdomadaire : Cass. Soc. 8 juin 2011, n°09-67051 ; pour l’absence de visite médicale d’embauche ou de reprise à la suite d’un accident du travail : Cass. soc. 17 oct. 2012, n° 10-14.248 ; Cass. soc., 13 déc. 2006, n° 05-44.580 ; pour l’inexécution des dispositions d’une convention collective qui cause nécessairement un préjudice aux organisations syndicales liées par cette convention : Cass. soc., 19 janv. 1999, n° 96-43.976 ; Cass. soc., 30 nov. 2010, n° 09-42.990, Bull. civ. V, n° 276).
Ainsi, indépendamment de l’étendue et de la preuve du préjudice effectivement subi, le salarié ou les représentants du personnel obtenaient une indemnisation dès lors que l’employeur avait commis un manquement.
Par une décision du 13 avril 2016 (n° 14-28.293), la Cour de cassation a mis fin à cette construction jurisprudentielle en retenant que « l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ». De fait, l’existence d’un préjudice et la réparation de celui-ci en cas de manquement patronal n’est plus automatique, le salarié devant rapporter la preuve de la première pour obtenir la seconde. Sa nouvelle orientation était réitérée à de nombreuses occasions (Par ex. Cass. soc., 17 mai 2016, n°14-21872 ; Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-16066; Cass. soc., 26 janv. 2017, n°15-21167 ; Cass. soc., 4 mai 2017, n°15-19334 ; Cass. soc., 30 janv. 2019, n°17-27796).
Notons, toutefois, que la Cour de cassation a admis des infléchissements à son revirement (Par ex., Cass. soc., 13 septembre 2017 n°16-13578 ; Cass. soc. 7 mars 2017, n° 15-23.038 ; Cass. soc. 17 oct. 2018, n° 17-14.392).
Dans l’arrêt rendu le 26 février 2020, la Cour de cassation était amenée à statuer pour la première fois depuis son revirement sur la question du préjudice nécessaire, mais cette fois-ci en cas de méconnaissance des critères d’ordre des licenciements. On sait, en effet, que lorsque l’ordre des licenciements n’est pas respecté en matière de licenciements économiques (critères non définis, inobservation des critères dans la mise en œuvre des licenciements), le licenciement n’est pas jugé sans cause réelle. Le salarié doit seulement être indemnisé du préjudice subi (Par ex., Cass. soc., 6 avril 2016, n°14-29.820 et 14-29.821). Pour la Cour de cassation « l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements […] constitue pour le salarié une illégalité qui entraîne pour celui-ci un préjudice, pouvant aller jusqu’à la perte injustifiée de son emploi lequel doit être intégralement réparé, selon son étendue, par les juges du fond » (Cass. soc., 6 oct. 2004, n° 02-44.150 ; Cass. soc., 16 nov. 2004, n° 02-42.620).
En l’espèce, plusieurs salariés licenciés pour motif économique reprochaient à leur employeur d’avoir neutralisé le critère des qualités professionnelles en accordant la même note à chaque salarié non-cadre et estimaient que les catégories professionnelles retenues ne correspondaient pas à la définition donnée par la Cour de cassation. Ils sollicitaient la réparation de leur préjudice qui découlait de cette inobservation.
La Cour de cassation, admettant en l’espèce que les règles relatives à l’ordre des licenciements ont bien été méconnues, considère cependant que les salariés n’apportent aucun élément pour justifier le préjudice qu’ils alléguaient. Elle rappelle que l’existence et la réparation du préjudice relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
La Cour de cassation, admettant en l’espèce que les règles relatives à l’ordre des licenciements ont bien été méconnues, considère cependant que les salariés n’apportent aucun élément pour justifier le préjudice qu’ils alléguaient. Elle rappelle que l’existence et la réparation du préjudice relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
Par cette décision, la Haute juridiction affirme que l’inobservation des règles de critères d’ordre des licenciements ne figure pas parmi les exceptions justifiant le maintien du préjudice nécessaire.
En conséquence, faute de démontrer leur préjudice, les salariés ne peuvent obtenir réparation.