Jérémie Jardonnet
31 août 2023

Expert-comptable du CSE et entretiens avec des salariés : la nécessaire autorisation de l’employeur

Dans une décision du 28 juin 2023 (Cass. soc., 28 juin 2023, n° 22-10.293) la Haute juridiction vient de répondre à une question inédite qui lui était posée : l’autorisation de l’employeur est-elle nécessaire pour que l’expert-comptable du CSE puisse mener des entretiens avec des salariés (et les lui facturer) ?

Pour mémoire, le CSE peut recourir à un expert-comptable (notamment en vue de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, celle sur la situation économique et financière de l’entreprise, celle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, ou encore en cas de licenciements collectifs pour motif économique, etc.) et à un expert habilité (notamment lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement, en cas d’introduction de nouvelles technologies, • de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, etc.).

La dissociation du bénéficiaire de l’expertise (le CSE) et de celui qui en assume le coût (l’employeur en tout ou partie), est généralement le point de crispation.

A ce titre, en application de l’article L. 2315-86 du code du travail, la contestation par l’employeur de l’expertise peut porter soit :
– sur la nécessité de recourir à un expert (il demande alors l’annulation de la délibération du CSE) ;
– sur le choix de l’expert (il demande l’annulation de la désignation de l’expert) ;
– sur le coût prévisionnel, la durée et l’étendue de l’expertise (il attaque alors la lettre de mission de l’expert) ;
– sur le coût final et pour cela (il soumet au juge la notification du coût final qu’on lui a adressé).

En l’espèce, un CSE a décidé du recours à une expertise diligentée par un expert-comptable, afin d’être accompagné à l’occasion des consultations annuelle relatives à la situation économique et financière de la société et à la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi.

Classiquement, l’expert a notifié à la société sa lettre de mission, qui comportait le coût prévisionnel de son intervention.

En l’espèce, ce coût prévisionnel incluait, notamment, un nombre d’entretiens avec les salariés de la société, à savoir des entretiens avec vingt-cinq salariés d’une durée de 1 heure 30 chacun, outre un battement de 15 minutes entre chaque entretien, soit un total de cinq entretiens sur cinq à six jours facturables.

La société a assigné le CSE et l’expert devant le président du tribunal judiciaire en vue d’obtenir la réduction tant du taux journalier pratiqué par l’expert-comptable que de la durée totale de l’expertise.

Le tribunal judiciaire a accueilli les demandes de la société et a retenu que l’expert ne peut pas mener et donc facturer des entretiens avec les salariés sans l’accord de l’employeur.

L’expert-comptable a donc formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation juge que l’expert-comptable, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, s’il considère que l’audition de certains salariés de l’entreprise est utile à l’accomplissement de sa mission, ne peut y procéder qu’à la condition d’obtenir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés.

En conséquence, le président du tribunal en a exactement déduit que devait être rejetée la demande de l’expert-comptable tendant à faire injonction à l’employeur de lui permettre de conduire lesdits entretiens de sorte que le nombre de jours prévus pour l’expertise devait être réduit.

Pour rappel, la mission de l’expert-comptable porte sur tous les éléments d’ordre économique, financier, social ou environnemental nécessaires à : la compréhension des orientations stratégiques de l’entreprise , la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise , à la compréhension de la politique sociale de l’entreprise, des conditions de travail et de l’emploi.

En application de l’article L. 2315-83 du code du travail, l’employeur doit fournir à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission.

A ce titre, l’expert est le seul juge de l’utilité des documents dont il réclame la communication et il ne peut lui être opposé la nature confidentielle des informations demandées, puisqu’il est lui-même soumis à des obligations de secret et de discrétion en vertu de l’article L. 2315-84 du code du travail (Voir par exemple : Cass. soc., 1er févr. 2017, n° 15-20.354 ; Cass. soc. 15 déc. 2009, n° 08-18.228).

Précisons encore que les documents et informations dont l’expert-comptable peut solliciter la communication n’ont pas à être limités à ceux qui figurent dans la base de données économique, sociale et environnementale (voir à ce titre : Cass. soc., 18 mai 2022, n°20-21.444 ; Cass. soc. 19 avr. 2023, n°21-25.563).

Evidemment, tout élément demandé doit être en rapport avec l’objet de la mission qui lui a été confiée, et le juge pourrait sanctionner tout abus de droit commis par l’expert-comptable.

Enfin, il convient de souligner que les experts-comptables ont libre accès dans l’entreprise pour les besoins de leur mission. Ainsi, et sauf à commettre un délit d’entrave, l’employeur ne peut s’opposer à l’entrée de l’expert dans l’entreprise.

L’expert dispose donc d’une large autonomie pour accomplir sa mission.

La Cour de cassation refuse cependant, dans sa décision du 28 juin 2023, de déduire de l’obligation pour l’employeur de fournir les informations nécessaires à l’exercice de la mission de l’expert-comptable et du droit d’accès par ce dernier aux locaux de l’entreprise un droit pour l’expert de mener des entretiens avec des salariés et les facturer à l’employeur sans son autorisation préalable et celle des salariés concernés.

Si l’accord des salariés concernés semble être une évidence, tant il serait contreproductif de forcer des individus à s’ouvrir auprès d’un expert, la condition posée d’une autorisation préalable de l’employeur semble quant à elle susciter plus d’interrogations que de réponses.

Doit-on y voir une décision transposable aux autres expertises comptables ? Un employeur serait-il légitime à refuser un entretien avec le comptable de l’entreprise, s’agissant d’une expertise relative à la situation économique et financière, ou un entretien avec le directeur des ressources humaines s’agissant d’une expertise sur la politique sociale ?

Cette solution peut-être être appliquée aux experts habilités ? Nous ne croyons pas qu’il s’agisse là de l’intention de la Haute juridiction. En effet, les entretiens de salariés dans le cadre d’une expertise « projet important » ou « risque grave » sont généralement essentiels, et il n’a jamais été exigé une quelconque autorisation préalable de l’employeur, qui pourrait avec cette faculté faire échec à ce type d’expertises en les vidant de toute substance et pertinence.

Espérons que la Cour de cassation clarifie sa position très prochainement, afin de lever le voile sur ces interrogations.

Mots-clés : CSE • expert-comptable • expertises du CSE • lettre de mission • accord de l’employeur • contestation du coût prévisionnel